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Ralph Barton

16 septembre 2010

Une fois n’est pas coutume, j’ai fait appel au talent de Dominique Hérody, professeur aux Beaux-Arts d’Angoulême, amoureux érudit de la belle image, pour retracer la carrière de Ralph Barton et reprendre en partie son article paru dans le n° 13 de la très belle revue 9ème Art. Rappelons aussi à ceux qui voudraient aussi redécouvrir le travail de Dominique Hérody: « Les Yeux de Louise » paru chez Magic Strip ou encore « L’atelier » paru chez Futuropolis, à l’époque d’Etienne Robial dans les glorieuses années 80.

Vous pouvez également retrouver le feuilleton littéraire « Maurice et Léa » de Dominique Hérody sur son site: http://herody.blogspot.com

Ralph Barton (1891-1931) et Charles Chaplin

« Dans ses mémoires, Charlie Chaplin rapporte qu’il convia Ralph Barton à l’accompagner en Europe en 1928, « un garçon excentrique et raffiné, qui s’était marié cinq fois, déprimé depuis quelques temps et qui avait tenté de se suicider » (…) Lors de ce voyage Chaplin fut le témoin d’une bouleversante entrevue de son ami avec sa fille religieuse dans un couvent près de Londres. « Deux semaines plus tard, il se suicida dans son appartement de New York (…) »

Bruce Kellner, auteur d’une biographie parue en 1991 aux Missouri University Press, le présente dans son titre comme le dernier dandy (« The Last Dandy »), un personnage qu’on imagine très fitzgeraldien.

Parmi ses cinq mariages retenons celui avec la compositrice Germaine Tailleferre, du Groupe des Six cher à Cocteau, avec qui il vécut de 1925 à 1929 à Manhattan et en France. Elle lui dédia un concertino pour harpe. Cette union devait plus à la qualité de Française de Germaine Tailleferre qu’à l’amour, semble-t-il, car la vie sentimentale tourmentée de Ralph Barton était surtout marquée par l’échec de son mariage précédent avec la future (jeune) belle-mère de Chaplin, l’actrice Carlotta Monterey (qui épousa le dramaturge Eugene O’Neill, le père d’Oona). Sa lettre d’adieu à la vie s’achève par « I kiss my dear children — and Carlotta ».

The Last Dandy – Ralph Barton « American Artist, 1891-1931 »

Bien introduit dans les cercles artistiques et intellectuels, à New York comme à Hollywood, Ralph Barton est pourtant natif du Middle West, de Kansas City où il débuta dans le Kansas City Star avec des aventures de Bud Smith (reprise de Herriman), sa seule, éphémère et juvénile incursion dans le comics. Après une manière très « Belle époque » où il pratiquait un dessin aux allures de dessins de mode, les influences japonaises et germaniques l’orientèrent vers d’autres horizons, sans jamais se départir de son élégance. Il sera le chroniqueur de cette société chic dans sa page régulière du New Yorker (à partir de 1925) titrée « Graphic Section », puis « Heroes of the Week » ; il y fait le tour de cette petite planète en réalisant pour chaque hero un portrait composé d’une caricature et d’une pertinente notice de quelques lignes (on y reconnaîtra ses confrères Winsor McCay et T. S. Sullivant). Il n’eut le temps de signer pour le New Yorker qu’une unique couverture, celle de Noël 1930 et les périodes où il n’y publiait pas étaient celles de ses séjours en France marqués par son amitié avec Sem. Il se sentait chez lui à Paris comme nombre d’Américains en cette après-guerre.

Barton ne dessinait pas en exclusivité pour le New Yorker. Il fut accueilli par le Harper’s Bazar, Life, Vanity Fair et Liberty où il commente son époque dans sa rubrique « News of the World » — ses comédies et ses tragédies —,  décrivant une situation en quelques dessins très aigus disposés en séquences qu’il ne serait pas téméraire aujourd’hui de nommer bande dessinée.

Quels que soient ses travaux, Ralph Barton avait un art consommé de la composition, sans doute inspiré par les estampes japonaises — la photo de son atelier décoré de somptueux paravents confirme cette idée. Barton était le spécialiste des caricatures de groupe où on pouvait reconnaître parmi tout le gotha chaque individu dans la foule, lors d’une première de théâtre, de cinéma, ou à l’occasion d’un banquet. Personne ne semble avoir résisté à l’acuité de son œil. Jamais cruelles, ses caricatures s’appliquent à ne pas enlaidir malgré les déformations inhérentes au genre, mais à dégager la particularité de chacun des caractères grâce à un trait d’une grande flexibilité, à l’image par exemple de l’époustouflant Norvégien Olaf Gulbransson dans le Simplicissimus. Il alla jusqu’à pasticher le style des peintres (Cézanne, Matisse, Degas, Manet, Gauguin…) pour brosser leur portrait « en situation ».

Ses dessins évoquent parfois un univers proustien — à croire qu’ils fréquentaient les mêmes salons — et pas plus que Proust, nous ne pourrions réduire Ralph Barton au rôle de chroniqueur mondain. Il illustra de nombreux articles culturels et quelques livres dont les « Contes drolatiques » de Balzac qui sont une de ses plus brillantes réussites (1928), hélas gâchée par l’indigence de l’impression qui l’indigna et amplifia encore sa mélancolie et son amertume.

En marge de son œuvre graphique et littéraire extrêmement riche, Ralph Barton filma Charlie Chaplin dans l’intimité et au travail sur « Les Lumières de la ville ». Il immortalisa aussi la « Folly » de Randolph Hearst en construction (le modèle de Xanadu) et, il tourna à Paris une pochade loufoque et potache parodiant « La Dame au Camélias » (« Camille : The Fate of a Coquette ») où se retrouve au menu, outre Charlie Chaplin (répétant la danse des petits pains de « La Ruée vers l’or »), un étrange gratin fait d’ingrédients aux saveurs variées, à savoir les apparitions de Paul Claudel, Sacha Guitry, Paul Morand, Jacques Copeau, Paul Robeson, Somerset Maugham, Sinclair Lewis, Sherwood Anderson, le sultan du Maroc, Sem, etc. (le DVD « L’Opinion publique » de Charlie Chaplin publié chez MK2 contient ces pépites en bonus) ; y tenait le rôle titre Anita Loos, l’auteur des  best-sellers « Gentlemen Prefer Blondes » suivi de « But Gentlemen Marry Brunettes » (Anita Loos était une délicieuse « brunette ») en 1925 et 1928, que Barton illustra avec brio et piquant, d’abord en feuilleton pour le Harper’s Bazar, dans un style, la présentation en vignettes servies par une ligne claire impeccable, laissant le regret qu’il n’ait pas abordé la bande dessinée. Question de temps qu’il n’aura jamais ? Question de famille, d’économie de la presse américaine ? Question de goût ?

PS : Ralph Barton est resté quasi ignoré par l’énorme volume sur le New Yorker paru en 2004 chez Black Dog & Leventhal, représenté  en marge de l’introduction par un seul dessin peu représentatif. Il nous reste cependant à consulter le cdrom pour lui rendre justice, malgré une définition bien insuffisante (en tenant compte que cette intégrale n’inclut pas les illustrations d’articles). Dominique Hérody

Merci à Joëlle Chariau de la galerie Bartsch & Chariau de Munich pour quelques précieux renseignements illustrations : entre Graphic section, End of fiscal Year, Barton et Chaplin (photo Nikolas Murray), Gentlemen prefer Blondes (avec Keaton).