Archive for septembre 2010

Robert Gigi

29 septembre 2010

La vente de l’atelier de Robert Gigi en Mayenne le 26 septembre 2010 me donne l’occasion de revenir sur l’itinéraire d’un illustrateur disparu en 2007, et dont le parcours mérite d’être rappelé. Ses illustrations, planches et couvertures de livres ont fait la joie d’une salle d’amateurs assez nombreux pour avoir assuré le succès d’une dispersion totale de 50 ans d’images.

Portrait de Robert Gigi, 1926-2007

Le texte d’introduction du catalogue remarquablement réalisé par l’étude de Maître Blouet à Mayenne nous aura servi en grande partie pour rendre hommage au talent d’un illustrateur et auteur de bande dessinée majeur, trop souvent oublié des rétrospectives de l’histoire de la BD et dont la quinzaine d’ ouvrages publiés principalement dans les années 70 ont marqué son époque.

Robert Gigi débute à la fin des années quarante dans diverses publications et plus particulièrement dans des revues de la Société Parisienne d’Editions (SPE). Il adapte des romans pour la jeunesse et des aventures de divers héros de séries policières.

Oeuvre de jeunesse – Polar (années 50)

Avant de connaître une certaine notoriété dans le milieu de la bande dessinée, Robert Gigi oeuvra régulièrement dans les magazines spécialisés pour les  jeunes lectrices. La publication régulière de ses gouaches à l’esthétique un peu démodée des romans photos dans des revue comme « Fillette » au coeur des années 60, pourraient rappeler l’univers des « Martine ».

« Fillette », illustration de couverture (années 60)

Son premier personnage « Gentil Clovis » pour le magazine Chouchou fit l’objet de strips humoristiques au début des années 60.

« GENTIL CLOVIS », pour le Journal Chouchou (années 60)

Plus tard, ses adolescentes mutines pour le magazine « 15 ans » contemporaines de « Salut les copains » à l’époque des yéyés annonceront ses premières bandes dessinées comme « Les confidences d’une 15 ans » qui, si elles n’ont pas marqué l’histoire de la bande dessinée, resteront certainement dans la mémoire des jeunes grands mères des années 2000. Ces histoires ont permis à Robert Gigi de faire ses classes avant d’entrer dans la grande porte des auteurs confirmés.

Gouache pour « 15 ans » (années 60)

C’est à « V magazine » qu’il va trouver le succès. Après avoir livré des illustrations de nouvelles, il rencontre Claude Moliterni qui lui propose de mettre en images les aventures de son héroïne pour adultes « Scarlett Dream ».

Projet de maquette pour « Scarlett Dream » aux Editions Losfeld

Cette série connaît très vite le succès et un premier album mythique parait aux éditions Eric Losfeld aux cotés de « Pravda la surviveuse » de Guy Peellaert et de la « Barbarella » de Jean Claude Forest.

Gouache originale, 1973, couverture « Phenix » n°33

Le duo prolixe Gigi-Moliterni publiera ensuite dans Phenix (revue de référence critique dans les années 70), « Orion le laveur de Planète ».

« Orion, le laveur de planète », maquette originale de couverture de l’album, 1974

Puis une nouvelle série pour la jeunesse  « Agar » qui sera publiée dans le journal italien « Corrière dei Ragazzi », continué dans le fugitif mensuel « Lucky Luke » et dont trois albums paraîtront, comme la majorité de son travail, chez Dargaud de 1974 et 1976.

AGAR « ECLIPSO », Le magicien de la planète morte, 1976, couverture de l’album

Gouache originale du labyrinthe de l’album, « Le magicien de la planète morte »

Les récits de soucoupes volantes imaginés par Jacques Lob et publiés dans le mensuel Pilote de 1972 à 1975  » Ugaki le serment du Samourai » sa dernière oeuvre qui témoigne de son grand amour du japon et des arts martiaux, lui ont assuré en son temps un succès public mérité.

« Agar et les jouets maléfiques », 1974

Robert Gigi est mort le 6 février 2007 à l’âge de 81 ans , et son oeuvre faute de réédition est aujourd’hui un peu oubliée du grand public. Ses images et planches aujourd’hui dispersée devrait cependant revivre par le biais des collectionneurs et amateurs. Il reste à souhaiter la réédition de quelques uns de ses meilleurs  livres dont une petite quinzaine sont parus entre 1967 et 1980.

« Une image pour Angoulême », gouache 1986, couverture de « Gigi, Rêves écarlates »

Dominique Hérody auteur du précédent article sur Ralph Barton, et succésseur de Gigi à l’école d’Angoulême nous précise: « N’oublions pas qu’il fut professeur de bande dessinée dans les années 80 (de 1983 à 1989, aux premiers temps de l’atelier bande dessinée aux Beaux-Arts d’Angoulême). Je crois qu’il était très estimé. Nicolas de Crécy et ses camarades doivent s’en souvenir. Et puis souvenons-nous de sa longue collaboration avec Jacques Lob dans Pilote à l’époque où les soucoupes volantes survolaient la terre, avant la chute du mur de Berlin. Gigi dessinait avec tant de crédibilité dans un style irréprochable, et c’était raconté de telle manière que les esprits les plus rationnels étaient tenté d’y croire, ne serait-ce que le temps de la lecture! » La dernière image de cet article illustrait la couverture du catalogue de vente de l’étude Pascal Blouet à Mayenne, et boucle la boucle de cet article.

Ceux qui veulent en savoir plus sur sa carrière d’illustrateur  peuvent encore facilement dénicher « Rêves écarlates » publié aux éditions Aedena en 1986.

Pour les amateurs de planches originales, merci de nous écrire si vous souhaitez acquérir une oeuvre de Robert Gigi.

Ralph Barton

16 septembre 2010

Une fois n’est pas coutume, j’ai fait appel au talent de Dominique Hérody, professeur aux Beaux-Arts d’Angoulême, amoureux érudit de la belle image, pour retracer la carrière de Ralph Barton et reprendre en partie son article paru dans le n° 13 de la très belle revue 9ème Art. Rappelons aussi à ceux qui voudraient aussi redécouvrir le travail de Dominique Hérody: « Les Yeux de Louise » paru chez Magic Strip ou encore « L’atelier » paru chez Futuropolis, à l’époque d’Etienne Robial dans les glorieuses années 80.

Vous pouvez également retrouver le feuilleton littéraire « Maurice et Léa » de Dominique Hérody sur son site: http://herody.blogspot.com

Ralph Barton (1891-1931) et Charles Chaplin

« Dans ses mémoires, Charlie Chaplin rapporte qu’il convia Ralph Barton à l’accompagner en Europe en 1928, « un garçon excentrique et raffiné, qui s’était marié cinq fois, déprimé depuis quelques temps et qui avait tenté de se suicider » (…) Lors de ce voyage Chaplin fut le témoin d’une bouleversante entrevue de son ami avec sa fille religieuse dans un couvent près de Londres. « Deux semaines plus tard, il se suicida dans son appartement de New York (…) »

Bruce Kellner, auteur d’une biographie parue en 1991 aux Missouri University Press, le présente dans son titre comme le dernier dandy (« The Last Dandy »), un personnage qu’on imagine très fitzgeraldien.

Parmi ses cinq mariages retenons celui avec la compositrice Germaine Tailleferre, du Groupe des Six cher à Cocteau, avec qui il vécut de 1925 à 1929 à Manhattan et en France. Elle lui dédia un concertino pour harpe. Cette union devait plus à la qualité de Française de Germaine Tailleferre qu’à l’amour, semble-t-il, car la vie sentimentale tourmentée de Ralph Barton était surtout marquée par l’échec de son mariage précédent avec la future (jeune) belle-mère de Chaplin, l’actrice Carlotta Monterey (qui épousa le dramaturge Eugene O’Neill, le père d’Oona). Sa lettre d’adieu à la vie s’achève par « I kiss my dear children — and Carlotta ».

The Last Dandy – Ralph Barton « American Artist, 1891-1931 »

Bien introduit dans les cercles artistiques et intellectuels, à New York comme à Hollywood, Ralph Barton est pourtant natif du Middle West, de Kansas City où il débuta dans le Kansas City Star avec des aventures de Bud Smith (reprise de Herriman), sa seule, éphémère et juvénile incursion dans le comics. Après une manière très « Belle époque » où il pratiquait un dessin aux allures de dessins de mode, les influences japonaises et germaniques l’orientèrent vers d’autres horizons, sans jamais se départir de son élégance. Il sera le chroniqueur de cette société chic dans sa page régulière du New Yorker (à partir de 1925) titrée « Graphic Section », puis « Heroes of the Week » ; il y fait le tour de cette petite planète en réalisant pour chaque hero un portrait composé d’une caricature et d’une pertinente notice de quelques lignes (on y reconnaîtra ses confrères Winsor McCay et T. S. Sullivant). Il n’eut le temps de signer pour le New Yorker qu’une unique couverture, celle de Noël 1930 et les périodes où il n’y publiait pas étaient celles de ses séjours en France marqués par son amitié avec Sem. Il se sentait chez lui à Paris comme nombre d’Américains en cette après-guerre.

Barton ne dessinait pas en exclusivité pour le New Yorker. Il fut accueilli par le Harper’s Bazar, Life, Vanity Fair et Liberty où il commente son époque dans sa rubrique « News of the World » — ses comédies et ses tragédies —,  décrivant une situation en quelques dessins très aigus disposés en séquences qu’il ne serait pas téméraire aujourd’hui de nommer bande dessinée.

Quels que soient ses travaux, Ralph Barton avait un art consommé de la composition, sans doute inspiré par les estampes japonaises — la photo de son atelier décoré de somptueux paravents confirme cette idée. Barton était le spécialiste des caricatures de groupe où on pouvait reconnaître parmi tout le gotha chaque individu dans la foule, lors d’une première de théâtre, de cinéma, ou à l’occasion d’un banquet. Personne ne semble avoir résisté à l’acuité de son œil. Jamais cruelles, ses caricatures s’appliquent à ne pas enlaidir malgré les déformations inhérentes au genre, mais à dégager la particularité de chacun des caractères grâce à un trait d’une grande flexibilité, à l’image par exemple de l’époustouflant Norvégien Olaf Gulbransson dans le Simplicissimus. Il alla jusqu’à pasticher le style des peintres (Cézanne, Matisse, Degas, Manet, Gauguin…) pour brosser leur portrait « en situation ».

Ses dessins évoquent parfois un univers proustien — à croire qu’ils fréquentaient les mêmes salons — et pas plus que Proust, nous ne pourrions réduire Ralph Barton au rôle de chroniqueur mondain. Il illustra de nombreux articles culturels et quelques livres dont les « Contes drolatiques » de Balzac qui sont une de ses plus brillantes réussites (1928), hélas gâchée par l’indigence de l’impression qui l’indigna et amplifia encore sa mélancolie et son amertume.

En marge de son œuvre graphique et littéraire extrêmement riche, Ralph Barton filma Charlie Chaplin dans l’intimité et au travail sur « Les Lumières de la ville ». Il immortalisa aussi la « Folly » de Randolph Hearst en construction (le modèle de Xanadu) et, il tourna à Paris une pochade loufoque et potache parodiant « La Dame au Camélias » (« Camille : The Fate of a Coquette ») où se retrouve au menu, outre Charlie Chaplin (répétant la danse des petits pains de « La Ruée vers l’or »), un étrange gratin fait d’ingrédients aux saveurs variées, à savoir les apparitions de Paul Claudel, Sacha Guitry, Paul Morand, Jacques Copeau, Paul Robeson, Somerset Maugham, Sinclair Lewis, Sherwood Anderson, le sultan du Maroc, Sem, etc. (le DVD « L’Opinion publique » de Charlie Chaplin publié chez MK2 contient ces pépites en bonus) ; y tenait le rôle titre Anita Loos, l’auteur des  best-sellers « Gentlemen Prefer Blondes » suivi de « But Gentlemen Marry Brunettes » (Anita Loos était une délicieuse « brunette ») en 1925 et 1928, que Barton illustra avec brio et piquant, d’abord en feuilleton pour le Harper’s Bazar, dans un style, la présentation en vignettes servies par une ligne claire impeccable, laissant le regret qu’il n’ait pas abordé la bande dessinée. Question de temps qu’il n’aura jamais ? Question de famille, d’économie de la presse américaine ? Question de goût ?

PS : Ralph Barton est resté quasi ignoré par l’énorme volume sur le New Yorker paru en 2004 chez Black Dog & Leventhal, représenté  en marge de l’introduction par un seul dessin peu représentatif. Il nous reste cependant à consulter le cdrom pour lui rendre justice, malgré une définition bien insuffisante (en tenant compte que cette intégrale n’inclut pas les illustrations d’articles). Dominique Hérody

Merci à Joëlle Chariau de la galerie Bartsch & Chariau de Munich pour quelques précieux renseignements illustrations : entre Graphic section, End of fiscal Year, Barton et Chaplin (photo Nikolas Murray), Gentlemen prefer Blondes (avec Keaton).