Grièvement blessé en décembre 1914, Gus Bofa est encore cloué sur un lit d’hôpital quand, à la fin de l’année 1915, il commence à collaborer à La Baïonnette.
Les journaux drôles, qui avaient, à la déclaration de guerre suspendu leur publication pour la durée des hostilités, reparaissent les uns après les autres, sous prétexte de soutenir le moral des trente-cinq millions de Français qui continuent à vivre « derrière les quatre millions d’hommes qui font au pays une muraille de leur chair» (Fantasio, n°196, 15 mars 1915).
Le 23 janvier 1915, le dessinateur Henriot lance un nouvel hebdomadaire humoristique, À la Baïonnette ! Le titre se veut un hommage à « l’arme française par excellence, qui s’élance, frappe et brille au soleil, en pleine bataille. » Tant pis si les combattants n’y voient qu’un accessoire aussi encombrant qu’inutile.
Dès juillet Henriot jette l’éponge et cède son journal à Charles Malexis, qui commence par en changer le titre, trop évocateur des charges meurtrières d’août 14. Le jeune éditeur a 36 ans. Débordant d’activité, il dirige l’Édition française illustrée avec une compétence rare. La Baïonnette rejoint un groupe de presse qui comprend J’ai vu, magasine photographique, En route, revue de tourisme et L’histoire illustrée de la guerre de 1914, de Gabriel Hanotaux.
Malexis veut donner à ses lecteurs une image de la France en guerre souriante et « toujours familiale et de bon goût ». Son journal traite chaque semaine, sur seize pages, dont six en couleurs, d’un thème lié à l’actualité : les Anglais, Les Russes, les Américains, l’impôt sur les revenus, les loyers ou la fête des Rois. Un artiste différent signe la couverture et prend parfois en charge la majeure partie ou la totalité du journal.
Le ton est évidemment patriotique. La Baïonnette s’interdit toute critique de la conduite de la guerre et évite de se mettre à dos la censure militaire. Seuls quelques dessins, irrespectueux des gendarmes, bêtes noires des combattants, seront interdits.
Mais, contrairement à nombre de ses collègues, Malexis a une ambition artistique : la paix revenue, La Baïonnette doit constituer « une collection incomparable de la satire et de l’humour français. » Il choisit donc avec soin ses collaborateurs, donnant des pleines pages à Marcel Capy ou Paul Iribe. Beaucoup, tels Bofa, Chas Laborde ou Mac Orlan, ont subi l’épreuve du feu et ont de la guerre une vision personnelle.
Dans la pratique, La Baïonnette, de par son ambition familiale et son autocensure, se révèle souvent banale de forme et pauvre d’inspiration. Du moins évite-t-elle, à quelques exceptions près (le détestable Louis Raemaekers, le pénible Poulbot ou la maniérée Gerda Wegener), les outrances guerrières et la bêtise tricolore de ses concurrents.
Francis Carco garde en mémoire « des planches d’Iribe, d’une extraordinaire et puissante sobriété ; des recueils de Gus Bofa (un sur les Hôpitaux militaires et une fantaisie anachronique sur la Guerre de Cent Ans), saisissants d’imprévu. »
Là est sans doute le vrai titre de gloire du journal : avoir donné un espace de liberté, même relative, à des artistes dont l’humour différent devra attendre la fin de la guerre et d’autres moyens d’expression pour s’épanouir totalement.
Bofa participe à La Baïonnette de décembre 1915 jusqu’en avril 1920, réalisant 29 couvertures et plus d’une centaine de dessins. Surtout, il y donne les premières planches de ses deux grands pamphlets, « Chez les toubibs » et « Le Livre de la Guerre de Cent Ans », qui seront publiés, le premier en 1917, le second en 1921.
On retiendra aussi, à côté d’une poignée de dessins d’inspiration fantastique (« La Machine à venger le droit », « Le rouleau-compresseur » ou « Le Réveil de Germania »), et de quelques collaborations avec Pierre Mac Orlan ( « Le Jeu de la tranchée », « Sur le front khaki »), une série de couvertures comme « Nos Amis les Russes » ou « Panam’ », où, selon Mac Orlan, Bofa donne« une des images le plus émouvantes que la guerre ait pu inspirer à un artiste, lui-même soldat. Il fallait d’ailleurs avoir été soldat pour la composer dans tous ses détails. Aussi tous les soldats aimèrent-ils cette image du cafard, malgré la technique de l’artiste qu’ils ne pouvaient comprendre »
Emmanuel Pollaud-Dulian.
Cet artiste sera mis en avant dans un ouvrage exceptionnel consacré au Salon de l’Araignée et aux « aventuriers du livre ». Ce livre signé par Emmanuel Pollaud Dulian sous la direction artistique de Géraldine Méo paraîtra en octobre 2013 aux éditions Michel Lagarde.
Une souscription pour un tirage de tête sera proposée aux fidèles de « Ma galerie à Paris » Le blog des Editions et de la galerie Michel Lagarde
Plus d’information sur ce projet en cours de finalisation ici http://www.illustrissimo.com/blog/entretien-avec-emmanuel-pollaud-dulian/