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Ivan Yakovlevitch Bilibine (1876 – 1942)

27 mars 2012

Il existe parmi les illustrateurs une communauté de passionnés, qui pensent à rendre hommage à leurs ainés qui ont su les faire rêver, et qui parfois ont peut-être décidé de leur vocation. Guillaume Decaux fait  partie de cette tribu, et c’est avec un immense  plaisir que je l’accueille dans cette galerie virtuelle pour nous parler de l’un des illustrateurs russes les plus importants du début du 20e siècle. Contemporain des Rackham et Dulac célèbres en Angleterre pour avoir illustré les chefs d’œuvre des contes et de la littérature du monde entier, il est sans doute le seul à avoir exploré les joyaux de la littérature populaire Russe, avant l’URSS. Je laisse la plume à Guillaume Decaux pour nous le faire (re)découvrir…

Peintre, illustrateur, enseignant, décorateur, Ivan Yakovlevitch Bilibine nait en 1876 près de Saint-Pétersbourg. Très tôt attiré par le dessin, il étudie les arts et travaille deux ans dans l’atelier du grand peintre russe Repine. Voyageant en Europe, il découvre à 22 ans à Munich les œuvres de Von Stuck et Böcklin, mais c’est l’art populaire russe qui sera son influence première.



Il collectionne les louboks (images populaires russes) et connait finement le patrimoine artistique de son pays. Le groupe de Saint-Pétersbourg Mir Iskousstva (« le Monde de l’Art ») collectif d’artistes russes aspirant à un renouveau de l’art national (il en est co-fondateur avec Léon Bakst), lui permettra d’épanouir son talent. L’heure est -avant le Bauhaus allemand- à la synthèse des arts, et plus particulièrement au développement du décor de théâtre et à la renaissance artistique du livre.

Bilibine se jette à corps perdu dans ce qui sera l’entreprise artistique de sa vie : l’illustration de contes traditionnels russes. La « décoration » (aujourd’hui on dirait graphisme et mise en page) des livres avec ses vignettes, ses cartouches, ses ornementations, est tout aussi importante que ses aquarelles finement ornées d’un trait noir qui illustrent des textes de Pouchkine ou des contes populaires comme « Le coq d’or » ou « Volga ».


L’influence de Hiroshije, de Hokusaï, de Beardsley, de Valloton ou de l’art oriental (il voyagera en Palestine, en Syrie, où il peindra des paysages, et habitera un temps en Egypte) lui permettra d’épanouir sa manière de dessinateur, si reconnaissable.

Le dessinateur soviétique Nikolaï Kouzmine nous apprend que Bilibine était un homme charmant, plein d’humour. Mais qui avait des règles strictes qu’il enseignait à ses élèves : il se refusait par exemple à utiliser la règle ou le tire-ligne et avait le culte de la ligne tracée avec assurance : il se surnommait « Ivan-la-main-de-fer ». Pour l’anecdote, on apprend également que Bilibine travaillait au pinceau en poils de blaireau, taillés en biseau, avec de l’encre de chine et des aquarelles Windsor & Newton, sur papier Schoellershammer ou Whatman.




La modernité de son style graphique lui permettra de rencontrer très tôt le succès et de répondre à de nombreuses demandes d’illustrations. Il sera également un grand décorateur de décors ou de costumes d’opéra.


En 1925 il s’installe à Paris et crée les costumes et les décors pour l’opéra « Le Conte du Tsar Saltan » de Rimski-Korsakov ou « Le prince Igor » de Borodine au Théâtre des Champs-Elysées. Il travaillera également pour les masques et les costumes de « l’Oiseau de Feu » de Stravinski à Paris.


Les éditeurs Flammarion, Nathan, Boivin & Cie ne sont pas en reste et lui proposent d’illustrer des contes russes. Bilibine découvre la France, peint des paysages en Bretagne à Perros-Guirec, y fait des photographies. En 1927, avec un groupe d’immigrés russes, il achète un lopin de terre à Lafavière, près de Toulon où il continue à peindre.


Il reviendra néammoins à Saint-Pétersbourg devenue Leningrad et y enseignera jusque la fin de sa vie. Il y mourra d’ailleurs en 1942, pendant le blocus de la ville par les troupes nazies.
La manière de dessiner de Bilibine, moderne, inventive, a su se détacher des influences graphiques de la fin du XIXe siècle, de l’Art Nouveau ou des préraphaélites, et son trait noir, gras, modelé, ainsi que ses aplats de couleurs, ses compositions inventives et la créativité de sa mise en couleurs en ont fait un illustrateur majeur du XXe siècle. Nombre d’illustrateurs et de dessinateurs de bande dessinée revendiquent volontiers l’influence de Bilibine sur leur travail. Cependant, le vocabulaire graphique de Bilibine ne valait que pour un nombre de thèmes limités : lorsque en 1930 on lui proposa d’illustrer un roman moderne, il répondit (il bégayait) « Je ne-ne sais pas des-siner des za-za-aéroplanes ! »

Guillaume Decaux

Sources : Sergueï Golynets, « Ivan Bilibine », Éditions d’Art Aurora, 1981
« Contes russes », Éditions Messidor/La Farandole, 1976
Nikolaï Kouzmine, « Le trait et le mot », 1967